Bon, ce n’était pas inné ni obligatoire, c’est un choix que j’ai fait parce que j’aime l’Histoire (de cette période notamment) et parce que je dispose d’une belle bibliothèque à base de livres ou de magazines que je me suis constitué depuis mon adolescence (donc depuis longtemps !) C’est dans cette bibliothèque que je puise habituellement mon inspiration.

Mon propos, dans cet article, est de donner quelques « tuyaux » à ceux qui voudraient concevoir quelques scénarios pour ce jeu magnifique qu’est Mémoire 44.

Quel scénario ?

Tout d’abord, il faut trouver quoi faire.

Généralement, l’idée me vient en lisant un livre ou une revue. La plupart de mes scénarios sont issus de cette manière, par une sorte de coup de cœur sur un récit ou un article historique. C’est l’envie de créer qui prime.

Une autre façon de faire, c’est de se donner un thème (par exemple, pour monter une campagne de plusieurs scénarios) et de chercher dans la documentation disponible une (grande) bataille ou un (petit) combat susceptible d’être reproduit par un scénario.

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Enfin quelquefois, c’est le hasard d’une discussion, la découverte d’une photo ou d’un monument qui me motive pour effectuer quelques recherches afin de faire connaître au grand public un évènement tombé dans l’oubli (par exemple, les combats de juin 1940 sur la ligne Chauvineau).

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Références et bibliographie

Les batailles connues du grand public (Débarquement de Normandie, Stalingrad, bataille des Ardennes, Iwo Jima) sont couvertes par une abondante bibliographie et iconographie alors que des combats plus obscurs ne sont mentionnés que dans certains ouvrages.

Dans tous les cas, il convient de trouver, dans la mesure du possible et quelquefois ce n’est pas évident, plusieurs documents de référence pour recouper l’information et se faire une idée la plus proche possible du déroulement du combat en question. Il faut être vigilant sur la documentation car souvent les articles de magazines ne sont que des reprises d’autres documents et donc il n’y a pas vraiment recoupement de l’information puisqu’il s’agit en fait de la même source.

Mais bon, s’il n’y a pas autre chose, on fait avec, l’essentiel étant de faire un scénario crédible historiquement.

Format

Une fois que la bataille à reproduire est choisie, il faut trouver quel format de plateau correspondra le mieux à cette bataille. Mémoire 44 nous offre maintenant trois formats de plateau différents : le format standard, l’Overlord et le Breakthrough.

  • Le format standard (un plateau de neuf hexagones en hauteur sur 13 en largeur) constitue le plateau du jeu initial. C’est le format sur lequel la plupart des milliers de scénarios existants sont construits.
  • Le format Overlord est, en fait, la pose de deux plateaux standard côte à côte dans le sens de la largeur. Cela a été créé initialement pour jouer en équipe constituée et permet de faire jouer jusqu’à huit joueurs sur une même partie. Ce format est particulièrement adapté pour représenter un front, une ligne de bataille, par exemple un débarquement sur une grande plage comme à Salerne, en Normandie, à Iwo Jima ou pour représenter la traversée d’une rivière (comme la Meuse à Sedan ou la Loire à Saumur) ou d’une zone fortifiée (ligne Maginot ou ligne Siegfried, entre autres).
  • Enfin le format Breakthrough, comme son nom l’indique, est idéal pour les scénarios de percée comme l’Opération Cobra ou l’offensive des Ardennes. Le plateau Breakthrough couvre la surface de deux plateaux standard mais dans le sens de la hauteur. Cela donne une profondeur de jeu qui permet au joueur de gérer la montée des unités de renforts, le déplacement progressif de l’artillerie d’appui, la prise en compte de la protection des flancs. C’est indubitablement, un format qui a apporté une nouvelle dimension (dans tous les sens du mot) à Mémoire 44.

Terrain

Le premier élément du scénario à reproduire, c’est le terrain. Personnellement, je travaille toujours à partir du plateau de jeu, pour moi c’est plus visuel.

L’idéal est de trouver dans le document de référence, une carte d’état-major ou un schéma tracé à la main de la bataille. Photo_192.jpg

Parfois, ce support cartographique n’existe pas et on ne dispose que d’une description plus ou moins détaillée du champ de bataille. C’est amplement suffisant !

On peut alors faire des recherches avec des cartes routières ou des images satellites (disponibles gratuitement sur Internet). Une petite étude du terrain permet de trouver l’emplacement recherché sans se tromper.

Voir par exemple la photo satellite du fort d’Eben Emael et sa représentation dans un scénario du Carnet de Campagne n°1/Opération Fall Gelb.

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Attention toutefois avec les cartes ou photos satellites actuelles : le terrain a pu changer depuis l’époque de la bataille.

C’est notamment le cas pour les villes et villages (qui se sont agrandis) ou les zones côtières (qui se sont urbanisées). Par contre, la plupart des déserts sont toujours …désertiques et les traces de combat, ou pour être plus précis, les traces d’aménagement du terrain en vue d’un combat, sont facilement repérables. Découvrir des éléments de tranchée et des bunkers sur l’ancienne ligne Mareth en Tunisie a été un grand moment d’autosatisfaction pour moi lors de mes recherches pour la confection d’un scénario au format Overlord.

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Unités de combat

Après le terrain, il faut identifier les unités de combat qui ont pris part à la bataille. Là aussi, soit on dispose d’un organigramme complet de chaque belligérant et c’est relativement facile, soit on a peu de références et il faut donc éplucher le (s) récit (s) de la bataille pour trouver quelques éléments révélateurs (utilisation de chars, de troupes du génie, intervention de l’aviation, soutien de l’artillerie, troupes d’élite ou non).

Attention à ne pas tomber dans le piège du wargame du type ASL et représenter en détail toutes les catégories d’unités ou de matériels présents dans la bataille. C’est autant de règles spéciales supplémentaires qui compliquent inutilement le jeu, jusqu’à le rendre injouable (et surtout pas marrant !) Il faut rester modeste et trouver les éléments (unité ou matériel) qui ont eu une influence réelle sur le combat décrit et qui influent aussi sur le déroulé du scénario.

Déroulement de la bataille

C’est un autre élément majeur du scénario : combat de jour ou de nuit, bataille se déroulant sur plusieurs jours (en fonction de l’échelle de la bataille). L’enchaînement des actions a aussi son importance (déminage d’une zone, traversée d’une rivière, avance le long d’une route) et se doit d’être reproduit le plus fidèlement possible.

Ce sont tous ces détails-là qui, ajoutés les uns aux autres, donnent une valeur historique à un bon scénario.

Après la mise en place des éléments du terrain et des unités de combat sur le plateau de jeu, il convient de définir les objectifs à atteindre. Là encore, on reprend des éléments de la bataille historique : pont ou ville à conquérir, unités ennemies à détruire, unités amies à évacuer, tout est possible. Le choix des médailles par objectif doit être réalisé judicieusement (médaille temporaire, définitive ou majoritaire).

Il reste ensuite à attribuer les moyens d’action des joueurs (nombre de cartes distribuées à chacun, quel joueur commence à jouer) en fonction du camp qui avait l’initiative lors de la bataille.

Enfin il faut donner des conditions de victoire à chaque camp afin que la partie soit ludique pour les deux joueurs. C’est peut-être là le seul moment où le scénario s’éloigne de la réalité puisque le camp vaincu dans le combat historique peut devenir le vainqueur du scénario (mais de toutes façons, c’est la même chose pour les wargames : si Napoléon 1er gagne à Waterloo, ce n’est plus vraiment « historique »).

Tests

C’est sans compter sur un équilibrage du scénario par une série de tests pour obtenir un ratio de victoires d’environ 2/3 pour le vainqueur historique pour 1/3 pour l’autre camp. Les tests servent aussi à voir la fluidité du jeu, la jouabilité du scénario dans son ensemble. Il arrive souvent que les conditions de victoire soient revues à la baisse, le nombre d’unités de combat modifiées pour simplifier le jeu en faveur d’un camp ou de l’autre afin d’apporter plus de plaisir aux deux joueurs.

Pour moi, la période de tests est souvent la partie la plus longue du processus car après la modification d’un élément du scénario, je m’impose une série de 6 tests au minimum avec obligation de victoire correspondant au ratio précité

La mémoire

Enfin, Mémoire 44, comme son nom l’indique, est un jeu basé sur le devoir de mémoire. C’est un grand mot, un concept parfois bradé ou utilisé à tort.

A notre niveau, restons simple : l’essentiel est de jouer, de s’amuser un maximum, mais de se souvenir aussi que tout vient de faits historiques dans lesquels des gens se sont battus, ont souffert ou sont morts, il n’y a pas si longtemps.

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C’est pour cette raison, que j’indique dans le paragraphe « Références et bibliographie », certains lieux de mémoire tels que musées, monuments ou cimetières militaires. Cela n’apporte rien de plus au scénario mais le joueur qui en prend connaissance en saura un petit peu plus sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

J’y attache une certaine importance, c’est ma façon de rendre hommage à tous les oubliés du champ de bataille !

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Finalisation

Une fois ceci fait, le scénario est pratiquement terminé, il faut encore écrire le contexte de la bataille réelle, éditer le scénario grâce à l’excellent éditeur de scénarios de Days of Wonder (pub !) et le traduire aussi en anglais pour nos amis anglophones.

Il faut compter au total une bonne quinzaine d’heures (étalées sur plusieurs jours évidemment) pour créer un scénario solide, de la conception (l’idée originale) jusqu’à l’enregistrement et l’édition (mise à disposition des joueurs dans « les scénarios du Front »).

Conclusion

Voilà, j’espère que ces quelques lignes aideront ceux qui veulent se lancer dans la construction de scénarios.

Il ne faut pas se leurrer, c’est long et fastidieux parfois (entre 8 à 15 heures au total en comptant de nombreux tests), cela nécessite beaucoup de rigueur pendant toutes les phases de création, y compris de la patience pour chercher la documentation. Le résultat n’est pas toujours à la hauteur des espérances. Ce sont toujours les joueurs qui jugent les scénarios, pas le créateur.

On pense avoir fait quelque chose d’extraordinaire et cela passe inaperçu et au contraire, un scénario dont on n’est pas totalement satisfait, peut avoir un succès inattendu. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

Quoiqu’il en soit, je continuerai à faire de nouveaux scénarios car c’est un vrai plaisir pour moi de voir lors d’un tournoi deux joueurs s’affronter sur un de mes scénarios avec toute la concentration et l’acharnement des passionnés. Cela a pour moi autant de valeur que si j’étais à leur place !

Petite mise au point

J’ai lu parfois dans certains blogs et forums consacrés aux wargames quelques critiques acerbes de la part de puristes comme quoi « Mémoire 44 n’était pas un wargame ».

C’est tout à fait vrai, Mémoire 44 est un jeu de plateau, à base historique et n’a nullement l’intention de rivaliser avec les vrais wargames. Ce jeu s’adresse d’ailleurs à un public différent (à partir de 08 ans).

C’est ainsi que l’on retrouve souvent dans les tournois locaux et même à l’Open de France Mémoire 44 (qui a lieu chaque année) un père qui vient jouer avec son fils, voire même trois générations de la même famille (grand-père, père et fils) et aussi quelques femmes (épouse, copine ou maman) bien que cela reste encore anecdotique (mais c’est pareil, les femmes sont moins passionnées par les jeux de guerre).

C’est aussi un jeu qui a une qualité fondamentale : la rapidité d’une partie. Allez trouver un wargame qui s’installe, se joue et se range en moins d’une heure !

Mémoire 44 le fait et c’est là son atout principal. Et puis s’ajoute le fait de jouer avec des figurines, de reproduire des batailles historiques et surtout d’avoir beaucoup de plaisir à jouer. C’est ce qui fait son succès.

Mémoire 44 ne veut pas se comparer à un wargame, mais il a définitivement gagné sa place parmi les jeux d’histoire.

Sincèrement,

Jacques David « Jdrommel ». Membre de la Fédération Française Mémoire 44